"Rien dans le monde n'est permanent et nous sommes fous de souhaiter que les choses puissent durer, mais nous le sommes certainement bien plus encore de ne pas en jouir tant que nous les avons" ("Le fil du rasoir", William Somerset Maugham).

18 janv. 2009

Terre


Les hommes ont créé une planète nouvelle : la planète de la misère et du malheur des corps. Ils ont désertés la terre. Ils ne veulent plus ni fruits, ni blé, ni liberté, ni joie. Ils ne veulent plus que ce qu'il inventent et fabriquent eux-mêmes. Ils ont des morceaux de papier qu'ils appellent argent. Pour avoir un plus grand nombre de ces morceaux de papier, ils décident subitement de faire abattre et d'enterrer cent soixante mille vaches parmi les plus fortes laitières. Ils décident d'arracher la vigne car, si on ne l'arrachait pas, le vin serait trop bon marché, c'est-à-dire ne pourrait plus produire des morceaux de papier en assez grand nombre. A choisir entre les morceaux de papier et le vin, ils choisissent les morceaux de papier. Ils brûlent le café, ils brûlent le lin, ils brûlent le chanvre, ils brûlent le coton. Devant l'énorme bûcher de coton, des chômeurs de l'Illinois viennent : "Laissez-nous emplir des matelas, disent-ils, nous couchons sur le terre, nous ne mangeons presque pas. Nous pourrons au moins dormir." On leur dit : "Non, le coton est en trop." Ils répondent : "Pas en trop puisque ce coton nous manque. Il nous donnerait des joies, je vous assure; enfin, des joies c'est beaucoup dire, mais il adoucirait notre misère, il nous permettrait de dormir au souple quand nous n'avons pas assez mangé." On leur répond : "Non, non, vous n'entendez rien. Il ne s'agit pas de vous. Ce coton est en trop car, s'il continuait à exister, le prix du coton baisserait et nous, les producteurs de coton, nous aurions un peu moins de petits morceaux de papier. Tout est là, toute la question est là et nous ne serons tranquilles que lorsque ce coton sera devenu de la fumée. Ecartez-vous." Quand les récoltes sont abondantes, on se lamente "nous avons trop de pêches, nous avons trop de poires, nous avons trop de vin, nous avons trop de blé, trop de pommes de terre, trop de betteraves, trop de choux, trop d'artichauts, d'épinards, de fèves, de lentilles, de haricots". La terre qui continue ses anciennes gloires épaissit-elle la semence des animaux : nous avons trop de vaches, trop de bœufs, trop de porcs, trop de moutons, trop de chevaux, trop de chèvres. Le cortège des bêtes splendides marche à travers les vergers couverts de fleurs; les champs de graminées caressent doucement le ventre des bœufs. L'homme tremble. L'immense terreur collective ébranle la société; "nos morceaux de papier, nos morceaux de papier !" Gouvernements, ministres, députés, rois, empereurs, lois, lois, lois humaines au secours ! Nous avons trop de tout, vite, vite, mettons le feu aux champs, éreintons le verger à coups de hache, tuons les vaches, les porcs, les moutons pendant la nuit à coups de couteau dans le ventre, à coups de serpe sur la tête, fauchont à la faux les pattes grêles des troupeaux, et, si ça ne va pas assez vite, canons, canons, canons !
Les vraies richesses, Jean Giono, 1935.


Peer Gynt, Morning, Grieg

3 commentaires:

nc a dit…

"J'ai peur de couver quelque chose.", disait la Terre
A l'archange du père éternel.
"On m'a mis les hommes sur le dos et ça m'démange.", disait la Terre.
"Pitié pour le p'tit personnel.
Dites au grand patron qu'y s'dérange. J'ai des misères.
J'ai peur de la sale migraine.
Je tourne encore mais je tourne à la catastrophe.", disait la Terre,
"Alors que tous les supérieurs s'ramenent."

Et les hommes chantaient :
"On a mangé des tonnes de viande,
Picolé des tonnes de tonneaux.
Combien d'orgasmes, on se l'demande, a-t-on atteint ?
Liz taylor is rich on veut l'être aussi.
On f'ra tout c'qui taut pour ça ici.
Combien de guerres brûlantes en tout a-t-on éteint ?"

"Qu'est-ce qui t'arrive petite ?", disait le père à la Terre.
"C'est un léger malaise, ma belle.
Tous ces brigands aveugles et sourds faiseurs d'histoires, princes et bergères,
Ce sont nos enfants, j'te rappelle.
Moi c'est les gambettes qui m'démangent.", disait le père.
"Dansons et oublie ta sale migraine."

La chance qu'on a d'valser comme ça à l'infini là dans les airs.
Allez ! Que toutes les planètes s'ramènent !

Et les hommes chantaient :
"On a mangé des tonnes de viande,
Picolé des tonnes de tonneaux.
Combien d'orgasmes, on se l'demande, a-t-on atteint ?
Liz taylor is rich on veut l'être aussi.
On f'ra tout c'qui faut pour ça ici.
Combien de guerres brûlantes en tout a-t-on éteint ?
Liz taylor is rich on veut l'être aussi.
On f'ra tout c'qui faut pour ça ici.
Combien de guerres brûlantes en tout a-t-on éteint ?"

Michel Jonasz - La terre et le père

Anonyme a dit…

J'ai offert "Les Vraies Richesses" à ma Cathy pour son anniversaire... Ce livre est génial...

Anonyme a dit…

J'oubliais... La musique est super bien choisie...